Page:Farrere - Mademoiselle Dax.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’accommode des pires horreurs et des pires anarchies, a vraiment de quoi nous effarer un peu…

Mais le public d’aujourd’hui ne recule plus, hélas ! devant aucune sorte d’effarement. Nous constatons donc sans surprise l’éclatant succès du roman de Carmen de Retz. Succès mérité, d’ailleurs, mais moralement déplorable…

— Alors, – songea mademoiselle Dax, très choquée, – voilà un livre pas convenable, et c’est une dame qui l’a écrit ?

Une dame auteur, pourtant, voilà une personnalité éminemment respectable !… Madame Augustus Craven, par exemple ; quelqu’un de grave, de tendre et de moralisateur, avec une robe noire et des bandeaux blancs… Mademoiselle Dax s’avisa que, sans doute, Carmen de Retz ne ressemblait pas à madame Augustus Craven. Mon Dieu ! à l’instar de son roman, cette romancière était peut-être même une dame « pas convenable »… Mademoiselle Dax l’imagina tout à coup pareille à la Diane d’Arques de tout à l’heure, étalée dans une identique voiture couleur de turquoise, et semblablement fardée jusqu’aux cheveux… Mais non !… une femme de lettres ! Elle devait porter lunettes, ou tout au moins pince-nez…

Et quelle singulière existence, à coup sûr, toute d’anomalie et d’étrangeté ! Évidemment, pas de foyer, pas de ménage, pas de bébés ; une bibliothèque, un cabinet de travail, comme les hommes, et des doigts noircis d’encre. Est-ce qu’on les aimait, est-ce qu’elles aimaient, ces femmes-là ?…