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la terre. Cependant elles tournaient toujours avec inquiétude leurs yeux vers la mer, et craignaient sans cesse de voir les Thraces venir fondre sur elles. Remplies de cette idée, dès qu’elles aperçurent le navire Argo qui s’approchait de leur île à force de rames, elles s’armèrent à la hâte, sortirent de Myrine, et se répandirent sur le rivage, semblables à des Bacchantes en furie. Hypsipyle, portant l’armure de son père, était à la tête de cette troupe que la frayeur rendait muette et interdite.

Les Argonautes députèrent pour héraut Éthalide, auquel ils avaient confié le ministère et le sceptre de Mercure son père. Ce dieu lui avait donné une mémoire inaltérable qu’il ne perdit point en traversant le fleuve d’Oubli, et quoiqu’il habite aujourd’hui, tantôt le séjour des ombres, et tantôt les lieux éclairés par le soleil, il conserve toujours le souvenir de ce qu’il a vu. Mais pourquoi m’arrêter à l’histoire d’Éthalide ? Hypsipyle, persuadée par ses discours, permit aux Argonautes de passer sur le rivage de l’île la nuit qui s’approchait.

Cependant le vent du nord qui s’éleva le lendemain les empêcha de continuer leur route. Hypsipyle assembla aussitôt les femmes de Lemnos et leur tint ce discours : "Chères compagnes, envoyons promptement à ces étrangers les provisions et le vin dont ils peuvent avoir besoin, afin que n’ayant rien à venir chercher dans cette ville, ils ne puissent découvrir ce qu’il serait dangereux que la renommée publiât. Il faut l’avouer, notre vengeance fut un coup hardi qui pourrait déplaire même à ces inconnus. Voilà mon avis ; si quelqu’une de vous connaît un meilleur expédient, qu’elle se lève. C’est pour vous consulter que je vous ai rassemblées ici." En achevant ces mots, Hypsipyle s’assit sur la pierre qui servait autrefois de trône à son père. La vieille Polixo, sa fidèle nourrice, empressée de parler, se lève aussitôt. Un bâton soutenait son corps chancelant. Auprès d’elle étaient quatre jeunes filles encore vierges dont les blonds cheveux flottaient sur les épaules. Polixo s’avança jusqu’au milieu de l’assemblée, et dressant avec peine la tête sur son dos recourbé, elle parla ainsi :

"Suivons le conseil que propose elle-même Hypsipyle, et envoyons des prèsents à ces étrangers, j’y consens, mais, dites-moi, que gagnerez-vous à les éloigner de ces murs, et comment défendrez-vous seules votre vie si les Thraces ou quelque autre ennemi viennent un jour fondre sur vous ? De telles invasions ne sont que trop communes. Ces étrangers eux-mêmes ne sont-ils pas arrivés ici au moment où nous y pensions le moins ? Supposons cependant qu’une divinité favorable détourne de vous ce danger, d’autres malheurs, plus terribles mille fois que la guerre, vous attendent. Lorsque la mort aura moissonné les plus vieilles d’entre vous, et que les jeunes seront parvenues sans postérité à une triste vieillesse, comment ferez-vous alors, malheureuses ! pour soutenir les restes d’une misérable vie ? Vos taureaux, subissant volontairement le joug, traîneront-ils d’eux-mêmes la charrue et moissonneront--ils vos champs ? Pour moi, quoique les Parques m’aient épargnée jusqu’ici, je descendrai bientôt dans le sein de la terre, et je recevrai les derniers honneurs avant de voir arriver cette calamité. C’est à celles qui sont plus jeunes à y penser sérieusement. Vous pouvez éviter aujourd’hui ce cruel avenir. Saisissez l’occasion et remettez votre ville et vos biens entre les mains de ces étrangers." Toute l’assemblée applaudit à ce discours. Hypsipyle se leva aussitôt : "Puisque vous approuvez, dit-elle, le conseil de Polixo, je vais envoyer sur-le-champ une de mes femmes au vaisseau." Et s’adressant à Iphinoé, qui était auprès d’elle, elle lui ordonna d’aller trouver le chef de ces étrangers, de l’inviter à se rendre dans son palais pour apprendre de sa bouche cette résolution, et d’engager tous ses camarades à entrer sans crainte et avec des sentiments de paix dans la ville. Hypsipyle congédia ensuite les Lemniennes et se retira dans son palais.

Iphinoé, prompte à remplir ses ordres, arrive auprès des Minyens, qui s’empressent autour d’elle pour savoir le sujet qui l’amène : "Hypsipyle, leur dit-elle, fille du roi Thoas, m’envoie vers vous pour inviter votre chef à venir apprendre d’elle une agréable nouvelle et pour vous engager tous à entrer sans crainte et avec des sentiments de paix dans la ville." Les Minyens, charmés de ce discours, pensèrent aussitôt que la mort avait enlevé Thoas, et qu’Hypsipyle, sa fille unique, régnait à sa place. Ils pressèrent Jason de partir et se disposèrent eux-mêmes à le suivre.

Description du manteau de Jason