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I.

AUX MUSES.

Filles illustres de Jupiter et de la belle Mnémosyne, Muses de Piérie écoutez-moi : que j’obtienne de la main des immortels la félicité et de la bouche des hommes une gloire éclatante. Toujours doux pour mes amis, redoutable à mes ennemis, qu’aux uns j’inspire le respect, aux autres la terreur. Je voudrais avoir des richesses, mais les posséder justement, car la vengeance suit de près l’injustice ; les richesses qui viennent des dieux sont solides, celles que les hommes se procurent à l’aide de moyens criminels sont incertaines. Enlevées par la violence elles suivent avec peine la main qui les reçoit ; elles s’allient bientôt à la calamité. La calamité qui commence est d’abord un petit feu qui excite soudainement un grand incendie : dans le principe ce n’est rien, mais la fin est terrible. Les trésors amassés par l’iniquité ne sont pas durables ; le dominateur éternel se hâte de les détruire. Comme le vent du printemps, balayant devant lui les nuages après avoir ébranlé jusqu’au fond les flots de la mer et dévasté les riantes moissons de la terre, remonte victorieusement au ciel et rend la sérénité au monde : la force éclatante du soleil reluit dans nos plaines, nulle tache ne parait plus dans le ciel azuré. Telle est la rapide vengeance que le roi de l’univers exerce sur les injustes ravisseurs ; sa colère est plus destructive que la colère de l’homme. Le crime le plus secret ne peut rester caché à son regard pénétrant : il sait le découvrir au fond du cœur. Tantôt il le punit à l’instant, tantôt il en diffère la vengeance. Si quelque méchant nous semble d’abord échapper à sa destinée, elle n’en est pas moins certaine ; elle arrive toujours. La punition méritée par les pères retombe même sur les enfants et leur postérité. Mais nous, mortels insensés, nous persistons dans une fatale erreur, disant : « Les bons et les méchants sont traités de même dans cette vie, » et nous n’abandonnons cette pensée injurieuse pour les dieux que lorsque nous voyons enfin les coupables à leur tour courbés sous la souffrance et les pleurs. Souvent un homme dont le corps est malade espère à l’aide d’un esprit sain surmonter la maladie, un lâche se croit brave, un homme laid se persuade être beau, celui qui est opprimé par la pauvreté s’imagine posséder d’autres richesses ; ceux-ci ne sauraient rester en repos : l’un court affronter tous les dangers des mers et des autans , jouer sa vie pour entasser des trésors dans sa maison ; celui-ci plante des arbres, trace de pénibles sillons et se fatigue dans les travaux de l’agriculture ; d’autres consacrent leur vie aux arts ingénieux de Minerve ou cherchent leur vie dans l’industrie de Vulcain ; il en est que les Muses célestes inspirent et que le don de la sublime poésie élève à la sagesse, il en est qui sont interprètes sacrés des oracles, qui annoncent les calamités futures, qui sont en rapport avec les immortels, mais ils ne peuvent malgré leur science dominer la destinée ; il en est qui professent l’art consolateur de Péon et qui connaissent les herbes salutaires sans pouvoir jamais écarter notre terme inévitable, car souvent la moindre douleur devient une grande maladie, et la science du médecin est impuissante, tandis qu’un autre mortel plus aimé des dieux rend de suite la santé au malade. Tous nos biens et tous nos maux nous viennent du Destin : nul ne peut échapper à ce qui lui arrive d’en haut. Notre vie est hérissée de dangers. On ne peut quand on entreprend une chose en prévoir la fin : l’un commence avec sagesse, mais la sagesse l’abandonne au milieu de sa carrière : il se précipite alors et tombe dans une faute comme dans un précipice ; l’autre débute avec imprudence, mais la protection d’un dieu vient à son secours ; il obtient un heureux succès : i l est absous du crime de son imprudence.

Mais l’ambition des richesses ne connaît pas de limites : les plus opulents veulent le devenir encore davantage. Qui pourrait satisfaire cette insatiable avidité ! Les dieux nous donnent bien,