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qui nous fait vivre. Nous vivons, voilà du moins une vérité.

Et je n’en vois pas d’autre. Je sais, on en compte des multitudes, et que nous végétons sur des myriades de vérités partielles, chaque jour par nous remises en question, et chacune vacillant reflet de la vérité unique : nous vivons, — ou bien d’une autre supérieure, inconnue de nous et de nous inconnaissable — et toutes reflets de celle-là, reflet de l’infini sur notre infirme finitude. Il est autant de vérités que d’hommes et que d’instants dans la vie de cet homme. J’arrive de voir, devant que d’entrer ici, les tableaux d’un autre peintre (Charles Lacoste), ils ne ressemblent par rien aux tableaux de Gaston Prunier qui nous entourent, et cependant semblablement beaux, cependant ils peignirent souvent les pareils paysages, à l’aide on peut dire des mêmes couleurs : il n’en est que sept. Leurs vérités sont-elles contradictoires ? non pas elles sont complémentaires. L’un et l’autre, émus aux mêmes spectacles et diversement émus puisqu’ils étaient chacun un homme, prétendirent que leur main réalisât, simplement, pleinement, sincèrement, ce que non leur œil seul, mais leur cœur avait ; vu et tous deux firent œuvre de beauté parce qu’œuvre de vérité, non d’exactitude : ces deux travailleurs avaient respecté leur main.

Ces deux travailleurs… mais vous êtes tous des travailleurs, nous le sommes tous ; travailler fait la propre fin de l’homme, nul homme n’en ignore, et dès notre plus jeune âge pour nous le mieux inculquer, ne nous édifia-t-on pas avec l’exemple de la diligente abeille et de l’active fourmi ? Et ce siècle, ce siècle dont nous avons l’honneur d’être, n’image-t-il pas par excellence le siècle du travail ? non seulement il fouilla l’univers ou matériel ou spirituel dans sa vastitude, arrachant des cieux toutes déités pour instaurer sur terre la Déesse Raison, mais il a réussi encore à faire travailler jusques à la matière auparavant inerte, et à qui infusa son labeur une mystérieuse vie.

Imposture ! non, cette époque n’est pas l’époque du travail, elle est celle de l’agitation, et c’en est précisément l’inverse. Cette époque force à l’effort la matière, hélas oui : hélas, car