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quer à lui-même, et ainsi revivre en force, en beauté, en amour.

Chacun à tous et tous à chacun : aujourd’hui, tous oppriment tous, et ceci nous étale l’horreur d’un tel aujourd’hui, que Ibsen a pu proférer la parole atroce et nécessaire :

L’homme le plus fort est celui qui est le plus seul.

Seul celui-là peut cultiver sa main. Et me voici revenu une fois encore au carrefour alentour de quoi je tourne sans oser m’en évader par n’importe quelle route : cette main, comment la cultiver ? Je disais encore tout à l’heure et c’est l’évidence même, nous sommes tous divers et il n’est pas plus deux hommes semblables qu’il n’existe de semblables sur le même arbre deux feuilles. Comment ? Et mais n’est-ce pas justement là l’amorce de la route ? En place de nous acharner à nous ressembler tous, pauvres identiques rouages de machine, efforçons-nous à travailler nos différences. Elles nous appartiennent en propre, elles ; elles nous renseignent sur l’aptitude de notre main, elles nous enseignent que chacun emporte la main de son génie, elles nous enseignent que chacun possède son génie. Oui, chacun possède son génie, et si sur lui rien ne peut, si nul ne peut rien sur sa main, sinon la déformer, au moyen d’elle il peut tout.

Sur elle rien, sinon la déformer ; jusqu’à la satiété j’y veux revenir et appelle à mon secours d’illustres parrains : ne forçons point notre talent, répète, frère ailé de Boileau, le délicieux La Fontaine,

Nous ne ferions rien avec grâce

(Avec grâce !)

Jamais un lourdaud, quoi qu’il fasse,
Ne saurait passer pour galant.

Hé, le galant ne manque point de mérites, oh certes, mais le lourdaud possède les siens ; il a son talent, il a son génie : le sien. Qui que tu sois, en toi tu enfermes, or, plomb, neige, ou fange même, la matière de ta statue. Tout le monde ne peut être Christ, et Jean-Baptiste son précurseur, bien peu ; mais tout le monde peut être l’humble sublime saint Joseph,