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POUR QU’ON LISE PLATON

non plus que Socrate, ce semble, n’a jamais dit aux hommes de s’aimer. A prendre les choses un peu familièrement, mais assez juste, il leur a dit de n’être pas des imbéciles. Il leur a dit qu’il n’y a rien de plus sot que de se croire heureux pour une jolie femme, un beau discours, un bon dîner ou une grande autorité dans la cité. Il ne leur a pas caché qu’à son avis Périclès est un niais. C’est quelque chose que cela, et c’est même très important. C’est ce dont il faudrait être parfaitement persuadé. C’est le commencement et beaucoup plus que le commencement de la sagesse. Mais il ne leur a pas dit d’être bons, et c’est une lacune bien grave.

Et l’on croit s’apercevoir qu’il n’avait aucune raison de le leur dire. Je ne vois pas, à aucun signe, que Socrate ni Platon aient été bons. Ils étaient sages, très clairvoyants, amoureux de la vérité, volontiers ironiques et très méprisants. Ils n’étaient pas bons. Ils aimaient leurs amis, leurs disciples, les sages du passé, du présent et de l’avenir ; les hommes, non, ou fort tranquillement. Ils n’ont pas échappé à ce défaut, à cette imperfection si l’on veut de la haute sagesse, qui est la froideur. Ils ont détruit en eux les passions jusqu’à celle-là aussi qui fait qu’on s’aime dans les autres, et ils n’ont pas assez songé qu’à extirper l’égoïsme dans