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originelle, évoluant par ses propres énergies. Ce n’est pas plus difficile que cela. L’instinct, suscité par un acte fortuit qui s’est trouvé favorable à l’animal, est une habitude acquise. Et là-dessus on argumente, invoquant la sélection, l’atavisme, le combat pour la vie (struggle for life). Je vois bien de grands mots, mais je préférerais quelques tout petits faits. Ces petits faits, depuis bientôt une quarantaine d’années, je les recueille, je les interroge ; et ils ne répondent pas précisément en faveur des théories courantes.

Vous me dites que l’instinct est une habitude acquise. Un fait fortuit, favorable à la descendance de l’animal, a été son premier excitateur. Examinons la chose de près. Si je comprends bien, quelque Ammophile, dans un passé très reculé, aurait atteint par hasard les centres nerveux de sa chenille ; et se trouvant bien de l’opération, tant pour elle, délivrée d’une lutte non sans péril, que pour sa larve, approvisionnée d’un gibier frais, plein de vie et pourtant inoffensif, aurait doué sa race, par hérédité, d’une propension à répéter l’avantageuse tactique. Le don maternel n’avait pas également favorisé tous les descendants ; il y avait des maladroits dans l’art naissant du stylet, il y avait des habiles. Alors est survenu le combat pour l’existence, l’odieux vae victis. Les faibles ont succombé, les forts ont prospéré ; et, d’un âge à l’autre, la sélection par la concurrence vitale a transformé l’empreinte fugitive du début en une empreinte profonde, ineffaçable, traduite par l’instinct savant que nous admirons aujourd’hui dans l’hyménoptère.

Eh bien, en toute sincérité je l’avoue, on demande ici un peu trop au hasard. Lorsque pour la première fois