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l’art de tuer par la section de la moelle épinière ; on ne naît pas abatteur de bœufs par la méthode du desnucador.

Voici maintenant l’Ammophile, abatteur de chenilles par une méthode bien plus savante. Où sont les maîtres ès arts du stylet ? Il n’y en a pas. Lorsque l’hyménoptère déchire son cocon et sort de dessous terre, ses prédécesseurs depuis longtemps n’existent plus ; il disparaîtra lui-même sans avoir vu ses successeurs. Le garde-manger garni et l’œuf déposé, tout rapport cesse avec la descendance ; l’insecte parfait de l’année présente périt, alors que l’insecte de l’année prochaine, encore à l’état de larve, sommeille en terre dans son berceau de soie. Donc rien absolument de transmis par l’éducation de l’exemple. L’Ammophile naît desnucador accompli comme nous naissons suceurs du sein maternel. Le nourrisson fonctionne de sa pompe aspirante, l’Ammophile fonctionne de son dard, sans l’avoir jamais appris ; et tous les deux, dès le premier essai, sont maîtres dans l’art difficile. Voilà l’instinct, l’incitation inconsciente qui fait partie essentielle des conditions de la vie et se transmet, par hérédité, aux mêmes titres que le rythme du cœur et des poumons.

Essayons de remonter, si c’est possible, aux origines de l’instinct de l’Ammophile. Aujourd’hui, plus que jamais, un besoin nous tourmente, le besoin d’expliquer ce qui pourrait bien être inexplicable. Il s’en trouve, et le nombre semble s’en accroître chaque jour, qui tranchent l’énorme question avec une superbe audace. Accordez-leur une demi-douzaine de cellules, un peu de protoplasme et un schéma pour illustration, et ils vous donneront raison de tout. Le monde organique, le monde intellectuel et moral, tout dérive de la cellule