Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, deuxième série, 1894.pdf/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je n’étais pas sans quelque remords de conscience ; le petit résultat acquis me semblait trop chèrement payé. Ils sont faits d’un autre bois ceux qui, sans sourciller, et pour ne pas arriver à grand’chose, ouvrent le ventre à des chiens vivants.

J’eus cependant le courage de recommencer, et cette fois sur une Taupe, prise ravageant un carré de laitues. Il était à craindre que ma captive, avec son famélique estomac, donnât lieu à des doutes s’il fallait la garder quelques jours. Elle pouvait périr, non de sa blessure, mais d’inanition, si je ne parvenais à lui donner une nourriture convenable, assez abondante, assez fréquemment distribuée. Je m’exposais ainsi à mettre sur le compte du venin ce qui pouvait bien n’être que le résultat de la famine. J’avais donc à reconnaître d’abord s’il m’était possible de conserver la Taupe en captivité. Installée au fond d’un large récipient d’où elle ne pouvait sortir, la bête reçut pour aliments des insectes variés, Scarabées, Sauterelles, Cigales surtout, qu’elle grugeait d’un excellent appétit. Vingt-quatre heures de ce régime me convainquirent que l’animal s’accommodait de ce menu et prenait très bien sa captivité en patience.

Je la fis mordre par la Tarentule au bout du groin. Remise dans sa cage, la bête à tout instant se gratte le museau avec ses larges pattes. Cela cuit, paraît-il, cela démange. Désormais, la provision de Cigales est de moins en moins consommée ; le lendemain au soir, elle est même refusée. Trente-six heures environ après la morsure, la Taupe meurt pendant la nuit, et ce n’est certes pas d’inanition, car il y avait encore dans le récipient une demi-douzaine de Cigales vivantes et quelques Scarabées.