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lorsqu’on est frappé de l’idée du danger de sa piqûre, si sauvage en apparence, est cependant très susceptible de s’apprivoiser, ainsi que j’en ai fait plusieurs fois l’expérience.

« Le 7 mai 1812, pendant mon séjour à Valence, en Espagne, je pris, sans la blesser, une Tarentule mâle d’assez belle taille, et je l’emprisonnai dans un bocal de verre clos par un couvercle de papier, au centre duquel j’avais pratiqué une ouverture à panneau. Dans le fond du vase, j’avais fixé un cornet de papier qui devait lui servir de demeure habituelle. Je plaçai le bocal sur une table de ma chambre à coucher, afin de l’avoir souvent sous les yeux. Elle s’habitua promptement à la réclusion, et finit par devenir si familière, qu’elle venait saisir au bout de mes doigts la mouche vivante que je lui servais. Après avoir donné à sa victime le coup de mort avec les crochets de ses mandibules, elle ne se contentait pas comme la plupart des Araignées, de lui sucer la tête, elle broyait tout son corps en l’enfonçant successivement dans la bouche au moyen des palpes ; elle rejetait ensuite les téguments triturés et les balayait loin de son gîte.

« Après son repas, elle manquait rarement de faire sa toilette, qui consistait à brosser, avec les tarses antérieurs, ses palpes et ses mandibules, tant en dehors qu’en dedans ; après cela, elle reprenait son air de gravité immobile. Le soir et la nuit étaient pour elle le temps de la promenade. Je l’entendais souvent gratter le papier du cornet. Ces habitudes confirment l’opinion, déjà émise ailleurs par moi, que la plupart des Aranéides ont la faculté de voir le jour et la nuit, comme les chats.