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tomber en ruines. L’abeille s’en garde bien : elle continue son apport de ciment et parachève religieusement le couvercle.

On pourrait se dire encore : obligée d’aller en quête de nouveau mortier après l’abandon du premier pour retirer la paille, l’abeille laisserait l’œuf sans surveillance, extrémité à laquelle la mère ne peut se résoudre. Que ne dépose-t-elle alors la pelote sur la margelle de la cellule ? Les mandibules libres enlèveraient la solive ; la pelote aussitôt serait reprise, et tout marcherait à souhait. Mais non : l’insecte a son mortier, et coûte que coûte, il l’emploie à l’ouvrage auquel il était destiné.

Si quelqu’un voit une ébauche de la raison dans cet intellect d’hyménoptère, il a des yeux plus perspicaces que les miens. Je ne vois en tout ceci qu’une obstination invincible dans l’acte commencé. L’engrenage a mordu et le reste du rouage doit suivre. Les mandibules enserrent la pelote de mortier ; et l’idée, le vouloir de les desserrer ne viendra pas à l’insecte tant que cette pelote n’aura pas reçu sa destination. Absurdité plus forte : la clôture commencée s’achève très soigneusement avec de nouvelles récoltes de mortier ! Exquise attention pour une clôture désormais inutile, attention aucune pour la compromettante poutre. Petite lueur de raison qu’on dit éclairer la bête, tu es bien voisine des ténèbres, tu n’es rien !

Un autre fait, plus éloquent encore, achèvera de convaincre qui douterait. La ration de miel amassée dans une cellule est évidemment mesurée sur les besoins de la larve future. Ni trop, ni trop peu. Comment l’abeille est-elle avertie d’avoir atteint la masse