Page:Fabre - Souvenirs entomologiques, deuxième série, 1894.pdf/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ploitée de préférence, les razzias y étant sans doute plus fructueuses. C’est donc au nord de leur caserne que les Amazones dirigent d’habitude leurs caravanes ; très rarement, je les surprends au sud. Cette partie du jardin leur est donc, sinon totalement inconnue, du moins bien moins familière que l’autre. Cela dit, voyons la conduite de la fourmi dépaysée.

Je me tiens au voisinage de la fourmilière ; et quand la colonne revient de la chasse aux esclaves, je fais engager une fourmi sur une feuille morte que je lui présente. Sans la toucher, je la transporte ainsi à deux ou trois pas seulement de son bataillon, mais dans la direction sud. Cela suffit pour la dépayser, pour la désorienter totalement. Je vois l’Amazone, remise à terre, errer à l’aventure, toujours le butin entre les mandibules bien entendu ; je la vois s’éloigner en toute hâte de ses compagnes, croyant les rejoindre ; je la vois revenir sur ses pas, s’écarter de nouveau, essayer à droite, essayer à gauche, tâtonner dans une foule de directions sans parvenir à se retrouver. Ce belliqueux négrier, à la forte mâchoire, est perdu à deux pas de sa bande. Il me reste en mémoire quelques-uns de ces égarés qui, après une demi-heure de recherches, n’avaient pu regagner la voie et s’en éloignaient de plus en plus, toujours la nymphe aux dents. Que devenaient-ils, que faisaient-ils de leur butin ? Je n’ai pas eu la patience de suivre jusqu’au bout ces stupides pillards.

Répétons l’expérience mais en déposant l’Amazone dans la région nord. Après des hésitations plus ou moins longues, des recherches tantôt dans une direction et tantôt dans une autre, la fourmi parvient à retrouver sa colonne. Les lieux lui sont connus.