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Orange. Autour de moi, personne n’ose croire à cet audacieux pèlerinage. J’affirme que le déserteur est en ce moment à Orange, miaulant devant la maison fermée.

Aglaé et Claire partirent. Elles trouvèrent le chat comme je l’avais dit, et le ramenèrent dans une corbeille. Il avait le ventre et les pattes crottés de terre rouge ; cependant le temps était sec, il n’y avait pas de boue. L’animal s’était donc mouillé en traversant le torrent de l’Aygues, et l’humidité de la fourrure avait retenu la poussière rouge des champs traversés. La distance en ligne droite de Sérignan à Orange est de sept kilomètres. Deux ponts se trouvent sur l’Aygues, l’un en amont, l’autre en aval de cette ligne droite, à une distance assez grande. Le chat n’a pris ni l’un ni l’autre : son instinct lui indique la ligne la plus courte, et il a suivi cette ligne comme l’indique son ventre crotté de rouge. Il a traversé le torrent en mai, à une époque où les eaux sont abondantes ; il a surmonté ses répugnances aquatiques pour revenir au logis aimé. Le matou d’Avignon en avait fait autant en traversant la Sorgue.

Le déserteur est réintégré dans le grenier de Sérignan. Il y séjourne quinze jours, et finalement on le lâche. Vingt-quatre heures ne s’étaient pas écoulées qu’il était de retour à Orange. Il fallut l’abandonner à son malheureux sort. Un voisin de mon ancienne demeure, en pleine campagne, m’a raconté l’avoir vu un jour se dérober derrière une haie avec un lapin aux dents. N’ayant plus de pâtée, lui, habitué à toutes les douceurs de la vie féline, il s’est fait braconnier, exploitant les basses-cours dans le voisinage de la maison