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de la maison d’abord me cherche noise pour avoir établi en notre intimité cette dangereuse république. On n’ose aller aux provisions : il faudrait traverser la nuée d’abeilles, et gare les coups d’aiguillon. Il me faut démontrer péremptoirement que le danger est nul, que mon abeille est très pacifique, incapable de dégainer tant qu’elle n’est pas saisie. J’approche le visage de l’un des gâteaux de terre, jusqu’à presque le toucher, lorsqu’il est tout noir de maçonnes en travail ; je promène mes doigts dans les rangs, je dépose quelques abeilles sur la main, je stationne au plus épais du tourbillon, et jamais une piqûre. Leur caractère paisible m’est connu de longue date. Je partageais autrefois l’appréhension commune, j’hésitais à m’engager dans un essaim d’Anthophores ou de Chalicodomes ; aujourd’hui je suis bien revenu de ces frayeurs. Ne tracassez pas la bête, et il ne lui arrivera pas une seule fois de songer à mal. Tout au plus, quelqu’une, par curiosité plutôt que par colère, viendra planer devant votre figure, vous regarder avec obstination, mais avec le seul bourdonnement pour toute menace. Laissez-la faire : son examen est pacifique.

En quelques séances, tout mon personnel fut rassuré : petits et grands allaient et revenaient sous le porche comme si de rien n’était. Mes abeilles, loin de rester un sujet de crainte, devenaient un sujet de distraction ; chacun prenait plaisir à voir les progrès de leurs industrieux travaux. Pour les étrangers, je me gardais bien de divulguer le secret. Si quelqu’un, appelé pour affaires, passait devant le porche au moment où je stationnais devant les gâteaux appendus, un court colloque s’engageait, dans le genre de