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de bénir Dieu ; chacun de les féliciter ; nul d’y trouver mot à redire ! N’était-ce point la loi d’esclavage, le droit du fermier ? Le propriétaire de chair humaine, n’avait-il pas habilement administré son bien ?


Assez de ces infamies.

Brutalités, dégradations, travail aidant — les plus longs jours étaient trop courts à son gré, les plus courtes nuits trop longues — le dompteur accomplissait son œuvre. Rompu, je l’étais. Âme, esprit, corps, élasticité, jets d’intelligence : tout brisé, tout écrasé. Mes yeux avait perdu leur flamme, la soif d’apprendre s’était évanouie, l’homme avait péri ; restait la brute. Et si quelque éclair de l’ancienne énergie, quelque lueur d’espoir se rallumait soudain, c’était pour me laisser plus dévasté.

Oh ! je me les rappelle, ces heures de morne tristesse, étendu le dimanche sur la grève, devant la mer infinie. Alors, ma douleur jaillissait en paroles désolées. Je les jetais au vent : — Vous êtes libres ! criais-je aux navires qui dressaient leurs voiles à tous les horizons ; — Vous marchez sous la brise, je marche sous le fouet. Allez, glissez, fendez la vague ! Oh ! si je pouvais nager dans votre sillage ! Mon Dieu, sauve-moi ; mon Dieu, délivre-moi ! C’est décidé, je m’échapperai. Je n’ai qu’une vie ; autant en finir dans les bois, ressaisi, assassiné s’il faut, qu’expirer lentement, lâchement, sous les griffes de la faim. Cent milles au nord ; et je suis libre ! Un canot, je le trouverai, je me lancerai, je suivrai la route des steamers, j’aborderai en terre de liberté !