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d’une absence de huit jours, et il n’était pas à demi mille que, tournant sur ses talons, il revenait à pas de loup, pour nous prendre en flagrant délit de repos. Astuce, malice empoisonnée, il avait tout du serpent. — N’en accusez pas exclusivement l’homme ; prenez-vous-en au système. L’esclavage, qui fait de l’esclave un paresseux, fait du maître un espion.

Le calcul régnait en souverain dans l’âme du dompteur. Avait-il écourté de dix minutes son oraison le matin, il l’allongeait d’autant le soir. Sa religion, parquée dans l’enceinte des pratiques extérieures, n’avait rien à faire avec sa vie. Une fois les prières débitées, les hymnes chantés — portes et fenêtres ouvertes, de façon à ce que nul n’en ignorât[1] — le diable, qui possédait l’esprit, gouvernait la maison.

Covey prétendait s’enrichir, c’est l’idée fixe de beaucoup de gens ; or, sachant que la fortune du planteur dépend de son bétail noir, Covey avait acheté Coraly dans le but, hautement énoncé, d’en faire un animal producteur… comme on achète une vache, pour en avoir des veaux, et les vendre au marché. Contraignant donc, sans apparence d’épousailles, Coraly à vivre maritalement avec Billy ; une paire de jumeaux, couleur ébène, fit son apparition ici-bas. M. et madame Covey

  1. « Et lorsque tu pries, ne sois pas comme les hypocrites ; car ils aiment à prier en se tenant debout dans les congrégations et au coin des rues, en sorte qu’ils soient vus des hommes… Mais toi, lorsque tu pries, entre dans ton cabinet ; et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est là, dans le secret. » (Év. saint matthieu, vi, 5, 6.)