Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.

donner un échantillon de leurs caprices ! — Point, soit la fatigue, soit qu’elles eussent épuisé le trésor de leurs bouffonneries, elles vont le pas, sages, dociles, comme de petits agneaux. — Arrivés en forêt, Covey nous dépasse, coupe trois jets de gommier, flexibles, longs, épineux, les lie, et m’enjoint d’ôter mes habits. Je reste immobile : — Si tu frappes, me dis-je, tu frapperas dessus ! — Covey bondit, arrache mes vêtements ; les coups pleuvent, ma chair lacérée saigne à flots !

Il fallut des semaines pour sécher les plaies, sans cesse ranimées par la rude chemise qui les frottait jour et nuit.


Les mauvais traitements, pas plus que le fouet, ne firent défaut, pendant que me rompait messire Covey. Mais comptant plus, pour arriver au but, sur l’excès de travail, il me surmenait sans pitié.

Le point du jour nous trouvait aux champs ; minuit nous y retrouvait, en certaines saisons. Pour stimulants, nous avions la courbache ; pour cordiaux, les volées de bois vert. Covey, surveillant jadis, s’entendait au métier.

Il avait le secret de la toute-présence. Éloigné ou proche, nous le sentions là. Arriver franchement ? Non. — Il se cachait, il se dérobait, il glissait, il rampait, et tout à coup émergeait. Tantôt, enfourchant son cheval il partait à grand fracas pour Saint-Michel ; et trente minutes après, vous pouviez voir le cheval attaché dans la forêt ; Covey, aplati dans un fossé ou derrière un buisson, guettant ses esclaves. Tantôt il nous donnait des ordres, préparait l’ouvrage comme s’il se fût agi