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quelques mots, c’était du coin de la bouche, avec cette lèvre retroussée, du chien à qui l’on va prendre un os.

Je n’avais donc qu’une chose à faire : obéir.

Tout marcha passablement de la maison à la forêt. Les bœufs couraient ventre à terre, mais je leur tenais pied. À peine au bois, mes bêtes prennent peur, s’emportent, cognent la charrette contre ce tronc, donnent du front contre cet autre, me traînent si bien — je ne lâchais pas la corde — qu’à chaque seconde, je risque d’être écartelé.

Boum ! Pan ! Un sapin colossal en travers ! Arrêtés, aplatis, les huit jambes dans les broussailles, charrette à droite, roues à gauche ; mes bêtes mugissent, enragent, et me voilà dans un joli pétrin !

Que faire ? relever la charrette, retrouver les roues, dégager les bœufs, charger le bois. Deux bras, un couteau, la volonté, il n’en fallait pas plus. J’en vins à bout :

— Covey me rompt ! dis-je aux brutes : Soit, je vous romprai !

L’affaire avait pris du temps. Enfin, nous voilà sur le chemin de l’habitation. Je comptais sans le portail, abominable machine, dont le battant retombait, à peine entr’ouvert. Un instant, j’abandonne la corde pour le pousser ; mes bœufs se lancent ; précipités sur les poteaux, les renversent : Porte, murs, tout à bas, tandis que, d’un cheveu, j’échappe à la mort ! — Le péril, ce semble, suffisait pour m’absoudre. M. Covey apparaît :

— Retourne au bois ! grommelle-t-il.

J’en reprends la direction. M. Covey suit. — Oh ! si les infernales bêtes, pensais-je, voulaient bien lui