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ferme de M. Hamilton. Hercule partait à fond de train, je le suivais à toutes jambes ; Hercule se régalait dans les gras pâturages de M. Hamilton ; je me réconfortais dans la cuisine, où tante Mary m’administrait ample pâture, sans compter du pain pour deux jours. — Il s’ensuivit que maître Thomas, après m’avoir donné double, triple, quadruple dose de courbache — pour compenser les rations d’aliment qu’il ne me donnait pas — déclara qu’il ne restait plus qu’une chose à faire : me rompre ; et décida que je serais rompu.

Non loin de l’emplacement des camps-meetings, où maître Thomas allait chercher ses impressions religieuses, vivait un homme, M. Edw. Covey, habile à dompter les noirs récalcitrants. Fermier sans le sou, sa vocation de dompteur lui fournissait, en la personne des nègres qu’on le chargeait de rompre, les bras dont il avait besoin pour labourer ses champs. À l’instar des écuyers, dont l’écurie se meuble gratuitement des chevaux qu’on leur donne à dresser, Covey faisait travailler à son profit la plus belle phalange de gaillards qui existât aux environs : les restituer rompus, on ne lui en demandait pas davantage. L’opération prenait un an, parfois deux.

M. Covey, passant en outre pour cultiver la religion aussi soigneusement qu’il aménageait ses terres — réputation qui ajoutait à son crédit — ce fut à lui que maître Thomas résolut de me confier.