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bétail, mis aux enchères, ne fussent vendus ; et les noirs emmenés dans les fiévreux marais à riz de la Géorgie, de la Floride, de l’Alabama.

L’esclave, tient plus à son home que l’homme libre. Pour lui, le départ, c’est la menace, c’est le châtiment ; c’est l’exil en pire contrée, la condamnation à de plus rudes travaux. L’homme libre quitte son pays, mais parce qu’il le veut, parce qu’un meilleur avenir l’appelle, parce que d’autres cieux ont pour lui des sourires plus cléments. Amis et parents, quand il s’en sépare, fortifient son courage, lui parlent de perspectives heureuses, de joyeux retour. D’ailleurs, n’y a-t-il pas les lettres ? Railways, télégraphes, n’apportent-ils pas, n’emportent-ils pas des messages d’amour ?

Gouffre, ténèbres, silence, voilà ce qui attend l’esclave arraché des siens.


Plus qu’un autre, je redoutais maître Andrew. Le partage n’était pas opéré que, sous mes yeux, maître Andrew, empoignant mon frère Perry par la gorge et le jetant à terre, lui avait de son talon frappé le crâne, jusqu’à ce que le sang jaillit par les oreilles et par le nez. Juste châtiment, d’un instant de retard à l’appel du maître.

Comme je regardais, terrifié :

— Je t’en ferai autant un de ces jours ! — dit l’homme.

Il n’en fut rien. La bonté de Dieu me plaça dans le lot de mistress Lucretia, mon ancienne et chérie maîtresse ; celle qui naguère bandait ma tête blessée et me