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résistance alors, avait raison du préjugé. En d’autres occasions, le préjugé tenace en était pour ses frais. Comme certain jour où l’hôtelier — Alliance, Ohio — m’ayant banni de la salle à manger, mes codélégués la quittèrent, dîner intact. Le même brave homme, au retour, nous attendait avec trois cents couverts ! Le train stoppa, les délégués descendirent ; pas un ne s’assit devant le festin.

On le voit, s’il y avait des lâchetés, il y avait des générosités.

Miss S. J. Mark[1], une de nos célébrités littéraires, n’abandonnait-elle point (Ohio) la table d’où l’on venait de m’exiler ; pour remonter, accompagnée de sa sœur, sur le tillac, et protester par cet acte, contre l’ostracisme dont j’étais l’objet ?

Deux dames anglaises, alors que nous descendions l’Hudson, et qu’assis près d’elles, on me contraignit de passer ailleurs ; ne se levèrent-elles point, elles aussi, proclamant leur indignation ; tandis que se taisaient, tandis que laissaient faire des gens, dont les convictions auraient dû délier la langue, et dont un geste, un seul, m’eût épargné l’affront !

Mais si le vernis de l’Évangile, ne recouvre pas toujours des cœurs chrétiens ; la livrée du paganisme, en revanche, dérobe, sous ses calomnieux dehors, telles délicatesses, telles bontés, telles énergies inspirées du Christ, que le Christ ne désavouera pas !

En fin de compte, à travers les bonnes et les mau-

  1. Grace Greenwood, nom de plume.