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si vous voulez m’accompagner, je prendrai soin de vous.

— À qui ai-je l’honneur de parler ?

— Moses Norris.

— Quoi ! le sénateur ?

— Tout juste.

En vérité, je ne savais trop que répondre. Ce même homme, là, devant moi, avait naguère littéralement arraché le révérend Georges Storrs, de la chaire où il prêchait l’émancipation ! D’autre part, comment repousser une offre si cordiale, si royalement venue ?

— Maman, maman ! Un nègre dans la maison, un nègre dans la maison ! — s’écrièrent une demi-douzaine de petites voix, à l’instant où ma personne se dessina sur le seuil de l’aristocratique demeure.

Ce n’est pas sans peine, que mistress Norris apaisa le tumulte. Elle-même semblait pétrifiée. J’allais battre en retraite ; l’hospitalière insistance du sénateur ne le permit pas. — Hasardant alors une expérience :

— Madame, fis-je, mon pauvre gosier est en feu. J’ai beaucoup parlé ; le froid m’a saisi ; rien ne me soulage, en ces sortes d’occurrences, comme un morceau de sucre, dans un verre d’eau fraîche.

Je n’avais pas achevé, que mistress Norris me préparait elle-même le breuvage, qu’elle me l’offrait, que les glaces polaires étaient fondues, les préjugés par-dessus bord (la bonne moitié au moins), et que, devisant avec le sénateur au coin de son feu, je m’y sentais presque bienvenu !

Le soir, au sortir du dernier meeting, ce fut à qui, de