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audience revient, restaurée, rafraîchie, oreilles et cœur dispos. Je reprends mon allocution ; cela nous mène à trois heures, que, le discours achevé, la Town Hall se vide à nouveau.

Je commençais à sentir certains tiraillements dans l’estomac. Un petit hôtel se trouvait tout près ; je m’y rends, je demande à dîner :

— Nous ne recevons pas de nègres !

Patience. Le vent du nord-est, promenant ses froides averses, me soufflait des aiguilles dans les poumons. Que faire ? Grelottant, exténué, affamé, je reprends le chemin de la Town-Hall ; tandis qu’aux fenêtres, hommes, femmes, enfants, me regardaient comme on suivrait les allures d’un ours, lâché sans muselière par la ville.

Tout en marchant, je côtoyais les murs d’un cimetière :

— Le champ du repos ! m’écriai-je : Oui, c’est cela, c’est ce dont j’ai besoin ! Le lieu où meurent les vanités, où finissent les distinctions, où il n’y a plus ni riches ni pauvres, ni blancs ni noirs !

J’y entrai. — Et je méditais ce cri pathétique du Seigneur : « Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le fils de l’homme n’a pas un lieu où reposer sa tête ! » lorsque des pas se firent entendre, et qu’avec cette hésitation des gens bien élevés, un gentleman s’approchant, me dit :

— Oserais-je vous demander votre nom ?

— Frédérik Douglass.

— Vous semblez n’avoir pas de logement en ville ?

— Je n’en ai pas.

— Bien. Je ne suis rien moins qu’abolitionniste. Mais