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cyprès jetaient leur ombre sur les tombeaux ; M. Howard, passant de l’un à l’autre, y cueillait quelques fleurs qu’il m’offrit.

Je les garderai jusqu’à mon dernier jour.

Après un lunch, élégamment servi dans la vaste salle à manger de la Grande-Maison, nous prîmes congé.

Une dizaine de noirs m’attendaient sur le seuil ; plusieurs d’entre eux étaient fils de mes anciens camarades. Je les reconnaissais aux traits, je les appelais par leur nom. La liberté rayonnait, là où si longtemps la servitude avait appesanti ses ténèbres !

Un hommage me restait à rendre au passé. Je me transportai chez mistress Buchanan, la fille du Governor, la veuve de l’amiral. Que de fois je l’avais contemplée, gracieuse et svelte ; dans l’éclat de ses dix-huit ans ! Elle en comptait soixante-quatorze à cette heure, et restait belle, de bonne grâce, entourée de ses petits enfants. M’introduisant auprès d’eux, du grand air de son père le Governor, dont ce noble visage me rappelait les traits ; elle se prit à causer avec moi, comme si j’eusse été quelque aristocratique ami, de la plus pure race caucasienne.

Au moment du départ, sa petite fille, ravissante de candeur, s’approcha, le sourire sur les lèvres, un bouquet dans la main, et me le tendit. — Oh ! comme je le reçus, comme j’en respirai la senteur ; avec quel doux langage ces arômes pénétrants me dirent qu’une aurore de justice, de fraternité, d’amour se levait sur mon pays ; que la guerre intestine, les crimes qui l’avaient déchaînée, s’étaient enfuis pour jamais ; que la jeune