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renfort de gaule, ces mots : « qui es aux cieux » dans nos têtes crépues. Je revis la grange d’où partaient, où revenaient les hirondelles, que suivaient longtemps mes yeux. Je revis ces vieux chênes, sous les rameaux desquels le petit Daniel — l’oncle du gentleman qui nous guidait — partageait avec moi ses gâteaux et ses biscuits. Toujours les immenses verdures enveloppaient le bosquet de fraîcheur ; mais les merles aux ailes écarlate, dont les symphonies réveillaient en moi d’indéfinissables aspirations, s’étaient envolés. Plus de négrillons grouillant dans la poussière, autour des quartiers déserts ! Un grand calme, un grand silence, remplaçaient le bourdonnement de la ruche noire. Dix hommes de couleur, aidés d’une ou deux machines, accomplissaient l’ouvrage qu’avaient peine à faire soixante esclaves jadis.

Je priai M. Howard de me conduire au champ de repos des Lloyd. Là, front découvert, je m’arrêtai devant chacune de ces tombes : Celle de la trisaïeule du Governor, morte à Annapolis, transportée ici dans un cercueil d’acajou, que tout enfant j’avais vu arriver, puis descendre au fond de la fosse ; le tombeau de l’amiral Buchanan, gendre du Governor, qui commandait le Merrimac, dans son affaire avec le Monitor (1862) ; celui de M. Winter, son autre beau-fils, général dans l’armée rebelle ; celui de M. Page, l’instituteur, qu’il me semblait voir errer solitaire, taciturne, à l’écart, loin des humains.

Tandis que je restais pensif, songeant aux choses disparues, et que les saules pleureurs, et que les