Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/300

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sèmera son blé, liera ses gerbes, abattra la besogne en un mot ! — Autant lui proposer la mort.

« En pays de liberté, qui travaille est maître ; qui ne travaille pas est asservi.

« Mieux vaut le travail du nègre, pour sauvegarder son honneur et garantir sa liberté, que carabines et bulletins.

« Vous lui montrez le Nord, vous lui en décrivez les merveilles ; il y prospérera, il s’y enrichira !

« Déraciner un chêne pour le planter ailleurs, l’opération n’a jamais réussi. Rouler de lieu en lieu, c’est faire pacte avec la misère. Le temps, l’argent, les forces ainsi gaspillées, auraient suffi à créer le Home : le trésor à nul autre pareil. Des Homes se créaient, de petits domaines s’arrondissaient, sur les bords du Mississipi. L’homme de couleur bûchait, il amassait, il acquérait ; et vous lui faites quitter son nid, vendre son bien, pour le livrer aux hasards de l’inconnu ! Il écoute vos promesses, et voilà que maisonnette, poules, dindons, mules et porcs, jardins et champs, il se débarrasse de tout, à vil prix, pour suivre l’Exode !… et à mi-route il a tout dépensé ; et le voilà éperdu, sans abri, sans pain, sans rien !

« Vous dites qu’au Nord — s’il y arrive — les votes du nègre fortifieront le parti libéral ; que, grâce aux bulletins des hommes de couleur, un Nord solide, fera face au Sud ambitieux ! — Mais les forces du Nord suffisent, chez lui, aux triomphes de la liberté. C’est au Sud, qu’elle a besoin de votes ; c’est au Sud, que se livre la bataille ; c’est au Sud, que la victoire est com-