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mettaient constamment de niveau avec les hommes les plus distingués, les plus influents et les meilleurs. Là, se faisaient les grands pas en avant ; l’égalité s’établissait ainsi, sur le terrain où figurait le nègre, à côté des citoyens que respectait et qu’aimait le mieux la nation.

Ma nomination : Marshal des États-Unis au district de Columbia, acheva, pour moi du moins, l’œuvre du nivellement. M. Hayes, à qui je la devais (il occupait alors la Maison-Blanche), rompit par ce fait, avec les précédents usages et les saints préjugés.

Un noir Marshal ! c’était pour le district une ignominie, presque un châtiment, que rien ne justifiait. J’allais fourrer des nègres partout : sergents, messagers, huissiers, députés, jurés, on n’allait plus voir que des hommes de couleur ! Le district allait être africanisé ! Et, y pense-t-on ? un nègre au palais présidentiel ! Un nègre en gants blancs, cravate blanche, bottes vernies, habit à queue de merluche, accomplissant ce rite sacré : introduire l’aristocratie américaine, auprès du président ! — Il y en avait trop ! Où marchions-nous ? Que va devenir le monde ? Effroyable, effroyable !

Aussi, travailla-t-on des pieds et des mains, pour arracher au Sénat le rejet de ma nomination. — Le Sénat la confirma[1].

— Bah ! se dit-on : Trouvons autre chose ! Guettons le Marshal. Il fera bien quelque sottise ; nous demanderons son rappel, et cette fois nous l’obtiendrons !

  1. Après un discours du sénateur Conkling, dont l’éloquence a l’ardeur de Clay, la finesse de Calhoun, la puissante ampleur de Webster.