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amis s’étonnèrent de me voir abandonner la position que tenait Sumner : notre protecteur, notre défenseur ; l’homme à la puissante intelligence, au large cœur, celui que depuis si longtemps j’aimais ; pour me joindre à Grant, sur le terrain de l’annexion !

En toute question douteuse, l’opinion de Sumner faisait loi pour moi. Ici, rien d’obscur. J’y voyais clair. Et c’est parce que j’y voyais clair, que je choisis hardiment mon chemin.

— Nous annexer Saint-Domingue ! s’écriait M. Sumner : C’est abaisser, c’est engloutir, c’est annihiler une nation de couleur ! Cela, par des moyens déloyaux, par des motifs intéressés.

L’annexion, aux yeux de M. Grant et aux miens, c’était l’alliance, généreuse, chevaleresque, avec un peuple sans défense, sans instruction, sans fermeté ; incapable d’établir l’ordre chez lui, hors d’état de se faire respecter ailleurs ! C’était la main que tend l’homme fort à l’enfant, pour le mettre debout, lui apprendre à marcher, et l’élever à son niveau.

Autre chose, d’accorder à Saint-Domingue, la place que sollicitait Saint-Domingue dans notre Union ; autre chose, d’autoriser le coup de main, sur l’Amérique centrale ou sur Cuba. D’un côté, une tractation paisible, spontanément proposée, librement discutée ; de l’autre, une expédition violente, conçue et perpétrée pour satisfaire les fantaisies d’une troupe d’aventuriers !

Quand le pouvoir esclavagiste menait tout, je votais le rétrécissement de nos limites. Depuis que régnaient la justice et la liberté, je voyais le bonheur des peuples