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— Vous avez, me dit-il, dans votre Narrative, fort injustement parlé de M. Thomas Auld, mon beau-père : un homme de cœur, un maître excellent ! Je ne saurais, sans encourir sa disgrâce, entretenir des relations avec vous.

— Monsieur, répliquai-je, les rapports de maître à esclave ont deux faces : au maître le côté lumineux, à l’esclave le côté noir. Ce que vous appelez justice et bonté, vous l’auriez, esclave, qualifié d’autre façon.

M. Sears s’adoucit, s’humanisa, si bien que je lui demandai l’autorisation de voir mistress Sears.

— Ma femme ! Amanda ! Mais elle avait sept ans à peine, quand… vous ne la reconnaîtriez pas.

— Je la reconnaîtrais entre mille.

Après quelques tergiversations — recevoir chez lui, l’esclave de son beau-père, le saut était rude — M. Sears m’invita pour le lendemain.

Toilette irréprochable, équipage élégant — ne fallait-il pas, entre l’esclave et l’affranchi, souligner le contraste ? — je me fis conduire chez M. Sears. Une trentaine de personnes s’y trouvaient réunies. Miss Amanda était, dans son enfance, élancée et menue. On avait, tout exprès, placé au centre du salon une dame, sa fillette à côté d’elle, dont la taille et les traits présentaient quelque analogie avec ceux que cherchaient mes regards :

— Monsieur ! fis-je, souriant au piége : Permettez-moi de me présenter moi-même à Miss Amanda !

Je me dirigeai tout droit vers elle ; d’un élan elle me prévint : Esclavage, couleur, position, tout s’évanouit !