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l’avions dit ! — c’est possible, même c’est certain. Mais un enfant n’apprend point à marcher, sans tomber sur son nez et se faire des bosses au front. Le gamin que son père jette à l’eau disparaît sous la vague, mais il apprend à nager. Les noirs apprendront à voter, en votant[1].

Un progrès amène l’autre : les progrès ne vont jamais seuls. Si la pente déroulée vers l’abîme est rapide ; si le premier pas entraîne le second, le second le troisième, le quatrième, toujours, toujours, jusqu’au fond ; il en va de même, Dieu merci ! sur le chemin lancé vers les hauteurs. Qui a commencé de gravir, gravira, toujours, toujours, jusqu’au sommet.

Le pieux docteur Godwin osait, il y a deux cents ans, hasarder cette proposition inouïe : — Baptiser un nègre, ce n’est pas pécher !

Grande clameur parmi les maîtres d’alors : — Baptiser un nègre ! Sacrilége, abomination, monstruosité !

La Jamaïque et la Virginie se signèrent.

Cela se conçoit. Une fois le nègre baptisé, évangélisé, frère en Christ ; comment le sangler, le surmener, le supplicier, l’abrutir, le tuer… en toute bonne conscience ?

Et néanmoins, le nègre fut baptisé ; une fois baptisé, son âme s’éclaira ; l’âme une fois éclairée, l’esprit s’émancipa ; émancipé… on sait le reste.

Cela prit deux cents ans ; mais enfin, conscience,

  1. L’événement a justifié mes prévisions : l’esclave a mieux, plus vite appris à être citoyen, que l’ancien maître à n’être plus tyran.