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laves, telles qu’elles jaillissaient du volcan. Non ! Ce n’était plus à la nation tout entière, c’était à des assemblées tranquilles, polies, lettrées, athéniennes, que j’allais m’adresser. Il en résulta ceci : que j’écrivis, à grand renfort de veilles, un discours ethnologique qui fit fiasco ; tandis que ma conférence sur les self-made men, sortant brûlante des profondeurs de mon âme, fit fureur. On me la demandait à droite, on la voulait à gauche ! Et je me rappelais le célèbre discours de Wendell Philipps : Les Arts perdus, qu’il avait, disait-il, répété durant quarante années, toujours avec le même succès ! Je me rappelais O’Connell, répondant aux gens qui lui reprochaient de ne jamais rien dire de nouveau : — Du nouveau ! Laissez donc ! Il faut vingt ans à l’Irlande, pour apprendre le vieux.


Ma carrière se faisait belle, mon sentier montait, ma race s’élevait avec lui. Ne me sentais-je point, chaque fois que s’ouvraient mes lèvres en présence d’un auditoire américain, ne me sentais-je point responsable envers mes frères d’Afrique ? Succès ou revers, n’était-ce point pour eux honneur ou discrédit ?

Mais je leur devais plus. L’esclavage tombé, leurs maux n’avaient pas disparu.

Nul ne peut s’appeler libre, qui dépend des préjugés, des haines ou des caprices d’autrui. Or, les noirs en étaient là. Jetés sans ressources aux flots de la vie : — Nage ou enfonce ! — leur avait-on dit. Ils enfonçaient. Ni terre, ni argent, ni amis ! La plantation les avait lâchés ; le grand chemin ne leur mettait sous les pieds