Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas produit chez les esclaves, l’effet que j’attendais. Ils y répondent peu, ne nous arrivent qu’égrenés…

— La proclamation ! m’écriai-je : — C’est qu’ils ne la connaissent pas ! C’est que les maîtres leur en dérobent la teneur !

— Alors, éclairez vos frères. Trouvez le moyen.

Nous en parlâmes longuement. Lincoln, travaillé de droite et de gauche, restait ferme, bien que soucieux. Ni paix ni trêve, jusqu’à complète soumission des rebelles ! il y était résolu. Les événements l’avaient fait avancer. Je le trouvai décidé, cette fois, à en finir avec l’esclavage.

Nous convînmes d’organiser un corps d’espions, tous hommes de couleur, chargés de pénétrer au Sud, d’y informer les nègres de la situation, et de les amener dans nos lignes. — Les éclatantes victoires de Grant, suivies de l’émancipation, pour tous et partout, prévinrent la réalisation du projet.

Qu’on me permette de placer ici un incident, qui, tout en flattant ma vanité peut-être, illustre le caractère de Lincoln. Durant mon entrevue avec lui, son secrétaire annonça par deux fois M. Buckingham, Gouverneur du Connecticut, loyal parmi les loyaux :

— Priez le Gouverneur d’attendre ! répondit Lincoln : J’ai besoin de causer longuement avec mon ami Douglass.

En vain, demandai-je au président de recevoir M. Buckingham ; en vain, l’assurai-je que c’était à moi d’attendre, il tint bon ; et lorsque entra le Gouverneur du Connecticut, j’eus la douceur de voir, à l’air courtois