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— La guerre, disais-je, c’est la délivrance de l’esclave, tout autant que c’est le salut de l’Union. Mais pourquoi le Nord ne se sert-il pas de ses deux mains ? Pourquoi se fait-il manchot ? Pourquoi, tandis qu’il arme sa main blanche, tient-il immobile, enchainée, paralysée, la main de bronze qui l’aiderait à écraser l’ennemi ?

Que voulez-vous ! rarement les théories ont raison de la déraison.

— Une guerre d’émancipation ; s’écriait-on : C’est exaspérer le Sud, c’est gagner à la rébellion les États indécis, c’est élargir le gouffre !

— Des régiments de couleur ! Tout homme du Nord, plutôt que de combattre à leur côté, jettera ses armes et retournera chez lui. Soldat, un esclave ! Au premier sifflement du fouet des maîtres, votre soldat tournera les talons.

Et pendant que le Nord raisonnait de la sorte, le Sud usait largement de sa population noire. Travaux, fortifications, approvisionnements, les noirs exécutaient toute corvée ; laissant aux maîtres loisirs et vigueur, pour mieux sangler le Yankee.

Rien de tel que le tonnerre, dès qu’il s’agit de réveiller les gens. Le canon de Bull’s Run, Ball’s Blutt, Big Bethet, Fredericksburg, retentit à Washington : il y déboucha les sourdes oreilles. Notre gouvernement consentit à employer les hommes de couleur.

Bien ! Mais comment les employer, sans faire brèche aux vieilles coutumes, sans effaroucher les préjugés ?

Le nègre servait déjà dans l’armée, en qualité de marmiton, brosseur, porteur, souffre-douleur. Met-