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M. Watson en train de promener le rasoir sur un visage quelconque — il était barbier — M. Watson quitte son client, et nous voilà en route.

Mais il ne s’agissait pas de badiner ! John Brown, sous le ban de l’État, sa personne mise à prix — pour actes de justice arbitraire dans le Kansas — se gardait, armé jusqu’aux dents, et tirait sur tout visiteur suspect. Il me reconnut, posa la ligne qu’il tenait en main — complément de son costume : vieux chapeau, habit gris, travestissement complet — et s’assit avec M. Kagi, Empereur, et moi, parmi les blocs épars.

Prenant la parole alors, il prononça le nom d’Harper Ferry, nous révéla son projet, en développa les détails, et me demanda ce que j’en pensais ?

— Ce que j’en pense ! fis-je hors de moi : Ce que je pense du projet ? Je pense qu’il est impraticable, du commencement à la fin. Je pense qu’il compromet la cause entière, je pense qu’il perdra quiconque s’y associera. Je pense qu’attaquer le gouvernement fédéral, c’est s’aliéner la nation. Pourquoi renoncer aux Alleghanis, à l’évasion partielle et successive des esclaves, à leur agglomération progressive, à ce triomphe plus lent mais plus certain ?

Brown laissait dire, et suivait sa pensée.

— Ce qu’il faut à la nation, s’écria-t-il, c’est un coup de foudre qui la réveille. Ce qu’il faut aux esclaves, c’est un appel de clairon qui les rassemble autour de l’étendard. L’investissement de Harper Ferry fera cela !

Et de décrire ses plans, ses moyens d’action, la sûreté de l’entreprise.