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Nos hommes d’élite se voient contraints, par cet ostracisme, à quitter les États, afin de suivre ailleurs la route qu’ils ont choisie, et dont toutes les issues leur sont fermées ici. Ce qu’il faut créer chez nous, hommes de couleur, c’est une classe intermédiaire, en mesure de se faire une situation modeste, honorable et sûre. Libres, l’argent nous manque. Il nous manque, parce que nous n’avons pas de métiers ; parce que, entre les lettres, les sciences, les arts libéraux, et le rasoir du barbier ou le fouet du cocher, s’ouvre un vide, un gouffre sans pont ni bac, pour passer d’un bord à l’autre bord. Notre pauvreté nous tient ignorants, notre ignorance nous maintient dégradés. Donnez-nous une école fournie d’ateliers divers, où des maîtres d’état enseignent à nos fils le maniement du fer, du bois et du cuir ! Cet enseignement, les blancs nous le refusent. Ni fermiers, ni artisans n’acceptent nos fils comme apprentis. La répulsion est opiniâtre ; à moins d’une révolution dans les idées, rien ne la vaincra. Grâce aux colléges, séminaires, lycées que vous nous avez ouverts, nos fils apprennent à se servir de leur tête ; apprenez-leur à se servir de leurs mains. Qu’ils puissent bâtir les maisons où ils logent, fabriquer les meubles dont ils usent, construire les ponts sur lesquels ils franchissent la rivière, faire les souliers et les bottes qu’ils ont tant cirées, tenir leur place dans les rues marchandes, s’en créer dans les grandes expositions du pays. — Et le pays bénéficiera de cette élévation rationnelle, progressive ; et l’esclavage tout entier, en recevra un coup fatal. — Le grand argument du Sud contre l’abolition, n’est-ce point le mépris