Page:F.Douglass, Mes années d'esclavage et de liberté, 1883.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il fit un signe affirmatif.

Je sentis ce que sent une ville assiégée, quand on vient lui dire que ses défenseurs sont tombés morts sur les murs.

Le Fugitive Slave Bill justifiait les terreurs. La loi nouvelle, allouait dix dollars au juge, par tête de bétail noir qu’il livrait au maître ; cinq seulement, par homme dont il reconnaissait et légalisait l’indépendance.

Libre, je n’étais pas sans craintes. Mon rachat, opéré durant mon évasion, passerait-il pour valide ? Les cupidités de maître Thomas Auld ne se réveilleraient-elles point ? — Avertis que des espions rôdaient autour de ma demeure, mes amis se préparèrent à les recevoir.

Quant à la loi, ses énormités firent sa défaite. La résistance des fugitifs poursuivis, le sang versé — le leur, celui des limiers qui les traquaient — lui portèrent un coup mortel.

Parmi des centaines, les trois hommes de couleur qui, à Christiana, (Pennsylvanie), assaillis par M. Gorsuch et son fils, avaient tué le père, blessé le fils, repoussé la force armée, et s’étaient échappés ; arrivèrent à Rochester, chez moi. Le cas était grave ; recherchés comme évadés, ils allaient l’être comme assassins. À mes yeux, ils avaient agi dans leur droit : le droit de légitime défense. En même temps qu’eux arrivait, par télégraphe, la nouvelle du meurtre et de la poursuite. Pas un instant à perdre. Miss Julia Griffiths, l’infatigable amie, la chrétienne à toute épreuve, court au débarcadère — Genesee River, trois milles de Rochester — pour s’y informer du passage d’un steamer,