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Brown me déclara que les détenteurs d’esclaves avaient perdu le droit de vivre ; que tout moyen était légitime à l’esclave, pour reprendre sa liberté ; que jamais, ni persuasion morale ni action politique ne démolirait le système ; qu’il y fallait les armes ; qu’il avait un plan, et que s’il m’avait appelé, c’était pour m’en faire part :

— Longtemps j’ai cherché, me dit-il, désespérant d’en trouver aucun, quelques hommes de couleur auxquels révéler mon secret. J’en vois se lever maintenant, de tous les points de l’horizon. L’heure est venue de commencer. Il ne s’agit ni d’une insurrection en masse, ni d’un massacre général des maîtres. Non que j’aie scrupule à verser le sang. Les hommes de couleur doivent porter des armes, et s’en servir ; ils acquerront ainsi la conscience de leur humanité. Nul ne peut, ou se respecter soi-même, ou se faire respecter des autres, s’il n’est prêt à défendre son indépendance, coutelas au poing.

Puis, déployant une carte des États-Unis :

— Voyez-vous cette chaîne de montagnes ? — poursuivit-il, posant son doigt sur les Alleghanis, et en suivant la ligne des frontières de New-York au centre des États du Sud : — Dieu a mis la liberté dans ces sommets. Il les a dressés pour l’émancipation de votre race. Je les connais, je les ai parcourus ; ils ont des forts naturels qu’un homme défendra contre cent, des retraites où cacher un bataillon. Je me charge d’y défier, avec une poignée de compagnons résolus, la Virginie entière. — L’esclavage ne tombera, souvenez-vous-en, que lorsque sera tombée la valeur monétaire de l’esclave. Or, pour qu’elle tombe, il faut que cette valeur, de sûre qu’elle était, devienne