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oreille aux voix de la justice, son cœur aux émotions de l’humanité.

« … Dans l’Amérique du Sud, poursuivais-je, objet vendable, achetable ; j’étais vendu, acheté, passé de main en main, frappé, blessé, rompu. Dans l’Amérique du Nord, esclave fugitif que son maître pouvait, d’un instant à l’autre, réclamer comme félon, traquer comme bête fauve, châtier comme criminel ; ma couleur me soumettait fatalement à toute avanie, à toute brutalité. Jeté dans le Jim-Crow-Car sur les railways, condamné au tillac sur les steamers, banni des hôtels respectables, je me voyais caricaturé, méprisé, maltraité, sans recours possible à la loi ! — Maintenant, au lieu des limpidités du ciel américain, les brouillards d’Albion ! Mais dans ces brouillards, ma poitrine respire ; la chose est devenue un homme ; je regarde autour de moi, et voici : personne qui revendique l’esclave, personne qui mette en doute ma dignité humaine, personne qui songe à m’insulter ! Je prends un cab, je m’assieds à côté des blancs, je franchis le seuil des portes où ils passent, je loge dans les hôtels qu’ils habitent, j’entre dans leurs salons, je dine à leur table ; tous les lieux d’adoration, d’instruction, de délassement qu’ils fréquentent me sont ouverts ; ma couleur, qui ne rencontre pas un geste de dédain, est l’objet des mêmes égards, du même respect, des mêmes bienveillances que la plus blanche des peaux ! »

Deux années avant mon départ pour l’Angleterre, une ménagerie avait établi ses baraques sur les terrains communaux qui entouraient alors Boston. Désireux de