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Il n’était pas seul : la famille Hutchinson, ces doux chanteurs d’hymnes abolitionnistes, qui allaient émouvoir l’Europe, redisaient à grande voix leurs cantiques sur le gaillard d’avant. Les invitations des passagers de cabine, prenaient même chemin. Capitaine en tête, ils me demandèrent une conférence ; pour l’avoir accordée, peu s’en fallut que je ne me visse lynché par une poignée de gentlemen de la Géorgie et de la Louisiane, lesquels, brandy aidant, jurèrent qu’à semblable insulte, ils répondraient en me jetant par-dessus bord. Sans l’énergie du capitaine Judkins, Messeigneurs du fouet n’y auraient pas manqué. Au beau milieu de la mêlée — cannes et bâtons s’exerçaient à l’envi — capitaine Judkins appelle ses hommes :

— Mettez-moi ces messieurs aux fers !

Nos gentlemen s’éclipsèrent ; je donnai ma conférence, et rien ne troubla plus la paix, ni du gaillard d’arrière, ni du gaillard d’avant. Ajoutons que les articles insérés dans les journaux, par ces messieurs, contre l’insolent nègre, loin de nuire à mon caractère, accrurent ma popularité.

J’avais laissé les États-Unis aux prises avec l’abolition, je trouvai l’Angleterre profondément remuée par l’abolition. Rappel des Corn laws, rappel de l’union entre la Grande-Bretagne et l’Irlande : autant d’abolitions qui travaillaient les esprits. Tandis que le rappel de l’Union préoccupait la Chambre haute, le rappel des Corn laws agitait le peuple. L’aristocratie conservatrice, propriétaire unique du sol, ou peu s’en faut, prétendait conserver la Corn law : il y allait de sa richesse, disait-elle, par-