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refusant d’entrer dans le Jim Crow Car, marchant droit aux compartiments ouverts à tous, sauf aux noirs, et m’y campant.

Cela ne s’opérait pas sans luttes : un jour entre autres, sur l’Eastern Railroad, entre Boston et Portland. J’avais payé un billet de première classe, et pris la place auquel il me donnait droit, quand arrive le conducteur :

— Sortez de là ! — fait-il. Je refuse.

— Ici ! — crie-t-il à ses gens. Six gaillards s’alignent derrière lui.

— Jetez-le dehors ! — Mes drôles se mettent à la besogne. Évidemment elle leur plaisait. Mais ils comptaient sans leur hôte. Plus attaché au poste qu’ils ne pensaient, d’une indomptable force musculaire, je me cramponnais au siége comme fer, et lorsque les bandits m’en eurent arraché, il se trouva que fauteuil, coussins, boiserie, tout partit avec moi.

L’audace méritait répression. M. Chase, surintendant du railroad, décréta que les trains destinés aux voyageurs, traverseraient désormais, sans s’y arrêter, la ville de Lynn, où je séjournais alors.

Abolitionnistes, chef en tête, d’attaquer la direction.

— Quoi ! s’écriait mon vénérable ami M. Buffum : — Vous admettez singes et chiens dans vos wagons de première classe, et vous en chassez un Frédérick Douglass !

— La compagnie du railway — répliqua M. Chase — n’étant ni une corporation religieuse, ni une association philanthropique, ne reconnaît d’autre règle que celle-ci : la convenance du public. Or, cette convenance interdit aux noirs l’entrée de tout wagon affecté au service des