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maître qu’il servait ! Et instruit ! Quand vit-on un esclave lire, écrire, calculer, raisonner, et citer les auteurs ?

Peu s’en fallait qu’on ne fit de moi un faux esclave, même un faux nègre, bâti de toutes pièces pour l’occasion.

À force d’entendre, lorsque je traversais nos salles de conférence, les braves Yankees s’écrier par derrière et par devant : — Jamais il n’a été esclave ! Parie que non ! Pas plus esclave que vous ! — je résolus de mettre, une fois pour toutes, les doutes à néant.

J’étais orateur, je devins auteur. Bravant le péril, donnant in extenso le nom des individus, celui des localités, indiquant les dates, je publiai mes expériences d’esclave. Aussitôt paru, l’écrit pénétra dans le Maryland.

Me réclamer ouvertement, mon jadis maître ne l’aurait pas osé. S’il l’eût fait, cent bras se seraient étendus pour me défendre, cinquante bourses se seraient vidées pour me racheter. Le danger n’était pas là : le danger, c’était un enlèvement secret ! Il ne s’en exécutait que trop. Sans cesse en route et souvent seul, rien de plus aisé que de me subtiliser. Grasse récompense, attendait quiconque réussirait à faire le coup. Disparu, que pouvaient pour moi mes amis ? Rien.

Aussi, lorsque je montrai mon manuscrit à l’un d’eux, M. Phillips :

— Si j’étais vous, s’écria-t-il, je jetterais mon manuscrit au feu !

Mais je n’étais pas M. Phillips, et je ne jetai pas au feu mon manuscrit.