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Nous n’avions pas marché cinq minutes, que le conducteur entra dans notre compartiment — le car des nègres — pour y recueillir les billets, et vérifier les certificats de ses noirs passagers.

Mauvais quart d’heure ! Mon avenir tout entier aux mains de cet homme ! — Il s’avançait lentement, prenait les papiers, les examinait, les rendait, se rapprochait : ton péremptoire, rude manière, jusqu’au moment où, parvenu devant moi, toute sa façon — était-ce mon costume ? — changea et s’adoucit. Voyant que je n’avais pas, comme les autres, exhibé de certificat :

— Vous avez votre free paper, n’est-ce pas ? me dit-il d’un accent amical.

— Non, monsieur, je ne le prends jamais en mer.

— Mais vous avez quelque chose qui prouve votre liberté, pas vrai ?

— Oui, monsieur, j’ai ça, cette feuille, avec l’aigle américaine, qui va me servir à faire le tour du monde !

Et j’étalai mon billet de protection.

Rarement j’ai traversé plus terrible minute ! Un coup d’œil jeté sur l’aigle, suffit au brave homme. Dieu le bénisse ! — S’il y avait regardé de plus près, j’étais perdu.

All right ! fit-il. Je respirai.

Mais tout n’était pas dit — tout l’est-il jamais pour l’esclave ? — Le premier venu pouvait, à chaque instant, mettre la main sur moi. Innocent, les transes du criminel me tenaient. Le train, qui marchait à toute vitesse, me semblait avoir l’allure d’un escargot. Après le Maryland se trouvait le Delaware, autre État à esclaves ;