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— C’est trop fort ! exclama maître Hugues. — Forte parole de sa part, on en conviendra.

Se procurer un témoin blanc, il n’y fallait pas songer. Tous n’avaient-ils point crié : Tue ! tue ! — Hasarder quelque pitié pour un nègre, n’était-ce point se rendre coupable d’abolitionnisme ? Autant dire : crime d’État ?


Maître Hugues, dont les affaires personnelles marchaient mal, occupait la place de chef, dans le chantier de M. Price, autre constructeur de vaisseaux. Il m’y fît entrer ; mes progrès y furent si rapides, qu’au bout d’un an je gagnais, en qualité de calfateur, un aussi gros salaire que les meilleurs ouvriers. Durant la forte saison, je rapportais à mon maître six ou sept dollars par semaine, quelquefois davantage. — Le temps vint donc où il me laissa chercher l’ouvrage, louer mes bras à mon gré, ne prenant d’autre souci, que celui de recevoir chaque semaine le produit de mes labeurs.


Mon intelligence ne chômait pas plus que mes mains. Je m’étais lié avec des noirs indépendants. Bientôt admis dans leur Société du Progrès moral, qui d’ordinaire, ne s’ouvrait pas aux esclaves, je pris une part active à ses travaux.

Vivant sur pied d’égalité avec des hommes libres, leur pareil en intelligence, en acquit, en énergie, en volonté, pourquoi rester asservi ? — Je gagnais plus d’un dollar par jour, nouant les contrats, exécutant les travaux, percevant les salaires, et jusqu’au dernier