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crise dans l’atelier Gardiner, peuplé de noirs vigoureux travailleurs, habiles au métier, lorsque tout à coup les blancs, profitant de la situation étranglée où se trouvait le patron, jurèrent que s’il ne bannissait pas les noirs du chantier, eux, ouvriers blancs, n’y battraient plus un coup !

On m’y souffrait encore. Bientôt, mes compagnons d’apprentissage, trouvèrent dégradant de travailler à mes côtés ! Regards provocateurs, mots insolents commencèrent de pleuvoir. Encouragés par les blancs, ces bons camarades m’adressaient rarement la parole, sans l’assaisonner d’une malédiction ; cela, jusqu’au jour où North, le plus grossier d’entre eux, m’allongea un coup de poing, auquel je répondis en l’étendant par terre. Tous, précipités sur moi, armés de ce qui leur tombait sous la main, cognaient à qui mieux mieux. Pris séparément, je les aurais arrangés de belle façon. Mais vingt à la fois ! — Un coup d’épieu, derrière la tête, m’étourdit. À peine reprenais-je mes sens, Dick me plante sa botte ferrée dans l’œil droit ! Couvert de sang, éborgné, je saisis l’épieu et me préparais à charger l’ennemi, lorsque les charpentiers blancs mirent le holà !

Ils étaient là cinquante, témoins — spectateurs serait mieux dit — de cette sauvage brutalité. Pas un n’intervint, pas un ne l’arrêta. Plus d’un en revanche, criaient : — Tuez-le ! tuez-le ! tuez le damné nègre ! Il a osé frapper un blanc !

Frapper un blanc, c’était dans le chantier Gardiner, — et partout — encourir peine de mort. La loi lynch se chargeait d’exécuter l’arrêt.