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— Fred ! tends-moi cette planche ! — Fred ! ici cette poutre ! — Fred ! apporte le rouleau ! — Fred ! la cruche d’eau fraîche ! — Fred ! prends le bout de la scie ! — Fred ! le levier ! — Fred ! l’emporte-pièce ! — Fred ! le ciseau froid ! — Fred ! tourne la meule ! — Fred ! noiraud ! hardi ! chauffe-moi cette poix ! — Halloo ! Halloo ! Halloo ! Viens, va, reste : si tu bouges, tu es mort !

Cela dura huit mois.

Un épisode — il illustre cette conséquence de l’esclavage, laquelle devait jouer son rôle dans le renversement du système — un épisode mit brusquement fin à mon apprentissage. Je veux parler de l’antagonisme des ouvriers blancs et des ouvriers noirs. — Les maîtres le cultivaient avec soin. Tenant serré l’ouvrier blanc, au moyen du travail esclave, qui ne leur coûtait rien ou presque rien ; les maîtres tenaient serré l’esclave à son tour, au moyen de ces répulsions de blanc à noir, qu’ils excitaient en toute occasion. Entre l’ouvrier blanc et le noir, toutefois, la différence était mince. Le noir se voyait dépouillé par son maître — nourriture et vêtements exceptés — de tout gain légitime ; le blanc, mis en face d’une classe d’ouvriers qui travaillaient gratis, se voyait privé, par la confrérie des maîtres, du juste fruit de ses labeurs. Haine, mépris, avanies, s’ensuivaient envers le nègre, soit esclave, soit indépendant… et les maîtres de s’ébaudir[1].

Nul symptôme cependant ne faisait présager une

  1. Cet antagonisme éclatait surtout dans les villes, où les maîtres louaient leurs esclaves aux fabricants, manufacturiers, constructeurs, etc., etc.