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ses serres, aux oiseaux de tout plumage qui m’avaient déchiqueté du bec, au Sud vers lequel ils avaient pris leur vol ! — Et c’était au Sud, dans la prison d’Easton, qu’on nous menait.

— Pendez-le ! vociférait la tourbe : Brûlez ! brûlez ! arrachez-lui la peau !

Pas un, parmi ces hommes libres, ne laissait tomber sur nous un mot de sympathie ou un regard de pitié.

Mais, derrière les palissades qui bordaient quelques plantations, de noirs visages se hasardaient, nous considéraient ; et sur ceux-là, on lisait la compassion.

Trahis — nous l’étions — toute espérance évanouie, broyés sous l’iniquité, éperdu en face du crime triomphant, je me demandais, dans mon ignorance et ma folie : — Où est la justice de Dieu ? Où sa miséricorde ? Qui a donné à ces brigands, le pouvoir qu’ils ont ? — Puis, soudain, cette parole du Livre : « Le jour de l’oppresseur viendra ! » répondit à ma démence, et je me sentis apaisé.

Une chose m’était douce : ni un geste, ni un mot de reproche, n’avaient échappé aux frères que j’entraînais dans ma perte. — Vendus, emmenés dans le Sud, tous séparés ! Je marchais sous ce poids.

Henry et moi, attachés à la même corde, nous pouvions, tandis que les constables regardaient devant eux, échanger quelques paroles :

— Que faire de ma passe ? murmura Henry.

— Mets-la dans ta galette et mange-la !

L’ordre transmis aux autres, fut promptement exécuté.