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choisit de mourir plutôt que de garder ses fers. — Pas un parmi nous, qui mit sa vie en balance avec sa liberté.

J’ai dit : pas un. Sandy, cependant, l’homme à la racine, devenait inquiet. Il avait des rêves lugubres. L’un entre autres, qui, je l’avoue, me laissa troublé.

— Je te voyais, me conta Sandy, aux griffes d’un aigle ! Des oiseaux de tout plumage t’entouraient, ils te perçaient du bec. Tu levais les bras, cherchant à protéger tes yeux ! Puis, les oiseaux prirent leur vol du côté du Sud. C’était la nuit du vendredi. Fred, fais-y attention ! Honey[1], prends garde !

Sandy parlait avec autorité ; le songe ne présageait rien de bon… ce qui ne m’empêcha pas d’arrêter mon plan.

Le voici : Nous emparer, la nuit qui précède Pâques, du large canot de M. Hamilton ; l’appareiller, nous lancer avec lui dans la baie, atteindre la pointe du cap Chesapeake, y prendre terre, repousser le canot à l’eau, et marcher droit vers l’étoile du Nord, jusqu’en pays de liberté.

Les objections me manquèrent pas : — En temps d’orage, disaient les uns, la baie est dangereuse, nous risquons de sombrer ! — La disparition du canot combinée avec notre absence, disaient les autres, nous trahira ! — Abandonnée à la dérive, s’écriaient les troisièmes, l’embarcation mettra les pourchasseurs sur notre piste !

  1. Honey (miel), terme d’affection usité parmi les nègres.