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Mon sort s’était donc amélioré ; n’importe, je restais soucieux et chagrin : esclave aussi malaisément satisfait d’un maître qu’un maître l’est d’un esclave. — Le corps déchiré chez Covey, le bien-être du corps formait alors mon desideratum suprême ; le corps ménagé chez Freeland, l’esprit réclamait ses droits.

Rossez l’esclave, affamez-le, abrutissez-le ; il suivra son maître comme un chien. Donnez-lui bonne nourriture, travail modéré ; son âme s’éveillera : Il ne rêvera plus que liberté.

Vous pouvez si bien rabattre un homme au-dessous du niveau commun, qu’il en perde jusqu’à la notion même, et du niveau, et de sa situation personnelle. Mais relevez-le, ne fût-ce que de quelques lignes ; ses yeux verront, et dès que ses yeux auront vu, l’homme se redressera.

Les rejets de l’arbre de liberté, que desséchait un sol aride sur la plantation Covey, reprenant vie dans les riches terres de Freeland, verdissaient et s’apprêtaient à fleurir.

J’avais de braves compagnons. Fidèle à ma vieille manie, je leur parlais d’indépendance ; j’excitais en eux la soif de savoir. Le Vocabulaire Webster, l’Orateur Colombien, recommençaient en eux l’œuvre qu’ils avaient faite en moi.

Quand vinrent les grands jours avec les longs dimanches, l’idée d’école me reprit. Nul besoin de salle, l’ombre d’un arbre suffisait ; le tout, était d’avoir des écoliers. Henry et John, mes camarades ; Sandy — l’homme à la racine merveilleuse — donnèrent le branle ; vingt à trente jeunes noirs suivirent bientôt, promet-