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Esclave d’un homme, cela valait mieux qu’esclave de la boue.


M. Freeland, véritable gentleman du Sud, ne ressemblait pas à Covey. Tout en participant largement aux vices de sa classe, il avait l’âme ouverte à quelques sentiments de justice, à quelque émotion d’humanité. Passionné jusqu’à la violence, impérieux jusqu’au despotisme, il était franc, méprisait l’astuce, et n’espionnait jamais.

Il me mit au labeur du sol. Devenu grand et fort, je préférais mille fois la terre, à l’énervant service de maison. Ce fait, d’abattre plus d’ouvrage que les plus vigoureux travailleurs, me remplissait d’orgueil.

Il y avait, sur ce point, maintes rivalités entre esclaves. La lutte tournant à son profit, on comprend si le maître la favorisait. Mais, nous aussi, nous savions calculer : faire en un matin l’ouvrage de la journée, c’était donner au maître une trop haute idée de nos capacités. Il risquait de transformer en tâche quotidienne, le résultat d’une heure d’émulation. Les défis, par conséquent, s’abattaient comme feu de paille.

Chez Covey, j’occupais le poste — peu enviable — de bouc expiatoire. Tous les méfaits se réglaient sur mon dos.

Chez M. Freeland, il n’en allait pas ainsi ; chacun payait pour soi. La nourriture y était abondante, le travail modéré : jamais aux champs avant le soleil, toujours revenus avant la nuit ! Durant les heures de jour, en revanche, on bûchait ferme.