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les fiertés de mon intelligence, se révoltaient contre leurs jongleries. Cependant : — Tes livres, ta lecture, ton écriture, me pris-je à penser, de quoi t’ont-elles servi ?

Sandy, les yeux étincelants, me pressait d’essayer : — Si cela ne te fait pas de bien, me dis-je, cela ne peut te faire de mal ! Oui sait si le Seigneur n’est pas là dedans ?

Je suivis donc Sandy, mon bon Samaritain. Nous arrachâmes la racine, et je la mis sur mon côté droit.

— Maintenant ! dit-il : Va chez Covey.


C’était le dimanche matin. Front haut, pas décidé, je marchai vers la ferme.

Tandis que j’entrais dans la cour, maître Covey et sa compagne, en habits de cérémonie, souriants et radieux comme deux anges, la traversaient pour se rendre à l’église. Ils s’arrêtèrent — si bénins, si débonnaires, que j’en restai confondu — m’adressèrent la parole avec une aménité inusitée jusque-là, s’informèrent de ma santé, me prièrent poliment de ramener les porcs, en goguette dans le maïs, et poursuivirent leur chemin.

Sandy aurait-il parlé vrai ? la racine opérait-elle, ou bien était-ce le costume du dimanche ? Le respect du Sabbat, empêcherait-il Covey de visiter mes péchés sur cette peau, qu’il tannait sans pitié les autres jours ?

Tout alla bien jusqu’au lundi. Le lundi, soit que la racine eût perdu son pouvoir, soit que Covey — comme le bruit en courait — fut plus avancé que Sandy dans la ténébreuse science ; sourires, accent moelleux, séraphique apparence, tout disparut. Une voix rude m’or-